La question se pose, pourquoi en junomichi on désigne celui qui dirige un combat lors d’un exercice de shiai, plutôt par le nom de « juge » que celui « d’arbitre » ? Et donc pourquoi la tâche de ce troisième pratiquant est celle de produire un jugement plutôt qu’un arbitrage ?

 

Avant tout, il faut préciser qu’un exercice de shiai ne demande pas obligatoire la présence d’une troisième personne, ni d’ailleurs que cet exercice implique forcément que des gens, pratiquants ou non, regardent ce combat. Le shiai ne prend pas nécessairement la forme de deux combattants et d’un troisième qui les juge, shiai peut être une décision prise entre deux junomichikas lors d’une pratique courante dans un dojo. Ils peuvent par exemple lors d’un randori, et cela d’un accord unanime, décider ensemble de chercher dans un temps le plus court possible : le ippon.

Lors d’un combat de shiai, il s’agit d’un juge parce que le pratiquant qui tient cette place singulière, cette place que l’on pourrait dire — du milieu, n’est là en aucun cas pour appliquer des règles préétablies. Le juge d’un shiai n’a pas pour mission de faire valoir des règles extérieures, pour la simple raison qu’en junomichi, les pratiquants se sont donnés des principes plutôt que des règles pour légiférer leur discipline. Principes qui doivent apparaître dans tous les exercices, et qui sont le point de recherche, le guide de tout pratiquant de junomichi. S’il existe malgré tout, certaines prescriptions qui permettent de juger un combat de shiai, elles ne sont en aucun cas, fixes et arbitraires, mais sont toujours des outils, soumis sans cesse à des améliorations, pour qu’ils puissent au plus près, rendre justice au junomichi. 

L’extériorité que représente la règle d’arbitrage et en revanche l’intériorité que doit trouver le jugement de junomichi, est un point essentiel pour comprendre le rôle du juge lors d’un combat de shiai. Un juge doit se comprendre comme un troisième combattant, engagé à égalité avec les deux autres partenaires qui se rencontrent, il ne se différencie d’eux que par la place singulière qu’il tient dans le combat.  Cette place est celle d’être avant. Sa forme de corps, son attitude, sa voix, ses gestes sobres, sa mobilité, son calme, inspire les deux autres combattants et les engage sans le dire, à chercher le ippon dans un temps le plus ramassé possible. C’est pourquoi de façon générale le juge d’un combat de junomichi est un pratiquant plus expérimenté que les deux autres. Tout est dit par sa seule présence, une fois le combat engagé, il a pour tâche de rendre possible le ippon, qui dans cet exercice particulier est la référence absolue, la preuve que dans ce combat particulier qui a lieu, le junomichi existe.

Le juge et les deux autres pratiquants sont orientés vers le ippon, orientés vers le geste ramassé, décisif et tranchant que présente : ippon. Pour cela le juge à l’exemple d’un chef d’orchestre, donne le tempo, rythme le combat avec matte et hajime, qui sont au fond les deux outils les plus importants qu’il a en sa possession. Par eux il peut, en fonction de ce qui se joue entre les deux junomichikas,  participer, susciter, faire advenir ce qui est latent dans le combat toujours unique qui se crée entre deux pratiquants. Matte, hajime sont finalement les deux injonctions qui permettent de rythmer un combat, l’une permet au juge de suspendre sans arrêter et l’autre de relancer. Parce que, s’il est le combattant du milieu, c’est qu’il peut par cette simple alternance, remettre en mouvement ce qui pourrait se cristaliser, redonner de la clarté là où le combat deviendrait confus.

Donner un rythme, participer à la musique que jouent les deux pratiquants et permettre que le ippon soit possible, voilà la place que tient le juge dans le combat. C’est pour cela qu’il ne peut être que le maître absolu du temps, qu’aucun temps extérieur ne peut lui imposer son arbitraire scansion. Il cherche avec les deux autres pratiquants à faire court, à ce que le ippon apparaisse avec le moins de combat possible. Pour cela il ne doit pas, lui non plus être une gêne, comme les bras d’un chef d’orchestre, son corps et son esprit doivent être souple, disponible, pris dans le présent de ce qui advient. 

S’il suspend excessivement le combat, tient une place autoritaire, inquiète, raide, ou inspiré par quelque chose d’extérieur au junomichi et finalement en décalage avec ce qui est en train de se dérouler, il gêne les deux autres combattants, il casse le rythme, fait obstacle. C’est pourquoi le jugement d’un combat de junomichi est une tâche subtile, une affaire de pratiquant, il faut savoir laisser faire et rythmer à l’intérieur. Au fond le juge d’un shiai ne fait pas autre chose que ce qu’il fait dans toutes les autres situations de la pratique, lorsque le partenaire prend une direction d’attaque, il ne peut orienter l’action dans un sens contraire, ou même à l’angle droit, il peut en revanche aller dedans en accompagnant, amener plus loin, et donner une inflexion différente à l’intérieur d’un cercle.

Ainsi le ippon lors d’un shiai n’est pas que l’affaire de celui qui a exécuté la technique, il existe aussi grâce à la sincérité de celui qui la reçoit, il existe encore parce que le juge a donné un rythme original au combat, adapté à ce qui arrive, parce que ce juge/combattant sait créer un temps qui rend possible le présent du ippon.

Rudolf D. S., avril 2013