Le travail proposé par I. Corréa relève d’un caractère pédagogique, non pas seulement, dans l’idée première de la pédagogie comme l'art d'éduquer, c’est-à-dire des méthodes et pratiques d'enseignement et d'éducation ainsi que toutes les qualités requises pour transmettre un savoir quelconque. Il propose une étude de la voie souple. 

 

 

La pratique du junomichi et son enseignement s’est traduit chez I. Corréa par un engagement total. Il a souhaité cet engagement comme une démarche personnelle et collective. Il n’a pas cherché à développer une méthode pour transmettre le junomichi, mais plutôt à comprendre et transmettre le sens de la pratique, dans un mouvement permanent de recherche. Si J. KANŌ considérait le Jūdō, la voie de la souplesse, comme un mode d’entrainement mental et physique supérieur, en retenant le terme de junomichi, la voie souple, I. Corréa a souhaité identifier un certain nombre de principes pour structurer l’étude de cette voie. Ces principes guident les recherches individuelle et collective

 

Ces principes revêtent un caractère universel. Ils peuvent s’exprimer dans d’autres disciplines, dans d’autres cultures au cours du temps de manière similaire. On peut trouver dans l’histoire, par exemple, une similitude dans la recherche de la non-opposition et celle de luttes non violentes, signifiant une volonté d’agir, de s’élever sans qu’une pression ou un effort soit exercé sous forme de contraintes sur autrui.

 

L’identification et la définition de ces principes est le fruit d’un travail et d’une maturation dans la compréhension et la pratique de la voie. Elle s’est traduite également par une évolution dans la transmission de ces connaissances. Il s’agissait de faire comprendre que :

 

Transmettre est l’affaire de tous : la transmission s’effectuant à tout moment entre les pratiquants, chacun à partir de ces expériences, de sa compréhension, de sa pratique, partage ses connaissances avec les autres (pratiquants ou non). 

 

Transmettre nécessite de s’engager, de pratiquer. 

 

Transmettre la mobilité (…l’envie, la vie !!) : La mobilité n’est pas se déplacer, en allant d’un endroit à un autre. On peut trouver la mobilité dans l’immobilité. Cela veut dire être suspendu et toujours en vibration. On est alors dans la mobilité. Transmettre la mobilité, c’est mobiliser le partenaire sans que des objectifs soient préalablement fixés. L’idée clé est qu’il ne faut pas agir en vue d’un effet, « il faut renoncer à ses buts propres et laisser conduire par ce que l’on peut » (Corréa et al., 2002). Se fixer un objectif, c’est se fixer et donc perdre sa mobilité.

 

I. Corréa a retenu un emblème qui permet aux pratiquants de junomichi de poursuivre leur désir sincère de réalisation d’efficacité tout en le conciliant avec le sens même de la vie.

 

« Lorsqu’en 1981, Igor Correa a créé le junomichi,il a cherché un emblème capable de fédérer aussi bien par sa signification que par sa force graphique : le Kokorozashi - Le but de la vie dans l’intelligence du cœur et de la volonté … Son intuition s’est trouvée confirmée par la lecture d’un texte de Jigoro Kanô intitulé « L’être humain doit absolument avoir un kokorozashi » » (Corréa et al., 2002, p. 148). 

 

Mais la transmission du junomichi est chose complexe. On se souvient des explications, parfois énigmatiques, de Mr Corréa : « Il faut attaquer en reculant en allant de l’avant… Se hisser vers le bas… Tout se de suite et maintenant…». Les enseignements qu’il nous dispensait prenait en compte cette complexité, c’est-à-dire cette volonté de présenter les techniques sous différents angles, à travers la présentation aussi explicite que possible des éléments visibles et invisibles, pour que chacun, à sa manière puisse s’approprier les techniques.

 

Son enseignement n’était pas de montrer ce qu’il faut faire, mais plutôt de permettre à chacun, de s’approprier des éléments de réflexion pour que tous ensemble nous construisions la démarche d’étude de la voie souple. En définitive, I Corréa a proposé d’explorer une voie souple, notamment, en :

 

Poursuivant une démarche de mobilisation des fondements du Jūdō

 

Développant non pas une méthode (pour éviter de figer les choses), mais un certain nombre de repères : les principes, la présence sur le tatami : Travailler l’équilibre instable…, se déplacer et non marcher…, le travail entre ceintures de niveaux différents…, pas de catégories de poids comme au Japon à l'heure actuelle…, l’acceptation de la prise de kumikata comme préalable à un travail à deux…, la volonté de progresser en permanence, en venant pratiquer avec l’idée de ressortir du tatami avec un niveau de connaissances supérieur à celui que l’on avait en entrant sur le tatami…

 

Etant présent par sa disponibilité, mais aussi à travers l’exactitude de ces réponses à nos questions et l’acuité de ses remarques touchant parfois au plus profond de soi.

 

Du coup, son enseignement ne se limite pas à la connaissance technique, mais il s’est donné comme objectif de « conduire, mener, accompagner, élever » tant du point de vue physique qu'intellectuelle et moral (Houssaye, 2007a, b).

 

Conduire : I. Corréa comme un aventurier dans la recherche et dans la transmission de ces connaissances mais aussi du mouvement de recherche permanente dans lequel il s’est inscrit. Il associe les pratiquants à cette dynamique d’exploration de l’ura (l'envers) et l’omote (l'endroit).

 

Mener : Le processus de recherche permanent a mené I. Corréa à développer et à renouveler la manière de transmettre. Il a cependant structuré sa démarche en donnant un sens aux exercices du Jūdō, en développant des principes, en soulignant l’importance de la présence sur le tatami (pour la pratique mais aussi dans la manière d’être).

 

Accompagner : Si faire preuve de pédagogie signifie enseigner un savoir ou une expérience par des méthodes adaptées à un individu ou un groupe d'individus, I. Corréa se définissait non pas comme un professeur, mais comme un conseiller amical.

 

Elever : dans l’idée de progresser ensemble, de s’élever pour aller de l’avant ensemble. Le développement du junomichi ne s’arrête pas à I. Corréa. S’il en est le pionnier, la phase actuelle est celle d’une continuation sur les bases qu’il nous a fournies tant au niveau de la pratique que le cadre institutionnel qui a été construit pour permettre une étude de la voie douce.

 

En définitive, I. Corréa s’est placé sur dans une perspective non pas de connaître des techniques pour pouvoir les mobiliser dans les exercices du junomichi, mais dans l’idée d’une école de la vie.

 

La pratique du junomichi est vivante, en progression permanente ce qui nécessite à tout moment de s’interroger sur le sens de cette étude de la voie souple, de transmettre l’envie de poursuivre ce cheminement tout en permettant à chacun et collectivement de s’épanouir et de découvrir de nouveaux horizons dans cette démarche tout au long de la vie.

 

J. KANŌ a proposé deux principes pour cette étude. Quatre thèmes nous semblent révélateurs de la volonté d’I. Corréa de les travailler :

 

Autonomie, Engagement et Sincérité, Spontanéité et Convivialité.

 

 

Jean-Marc D., août 2013

 

 

Bibliographie :

- Correa I., Le Hanneur L., Di Stéfano R., Bruel L. (2002), « Junomichi. L’origine du Jūdō suivi de junomichi no kotoba », éditions Budo, 207 p.

- Thibault C. (1999), « Entretiens avec les pionniers du Jūdō », Editions Budo, Paris, 400 p.